MORPHOGÉNIQUES (SYSTÈMES)

MORPHOGÉNIQUES (SYSTÈMES)
MORPHOGÉNIQUES (SYSTÈMES)

Les géographes appellent «système morphogénique» (ou système d’érosion) toute combinaison complexe de processus qui élabore le relief de vastes portions de continent correspondant à des ensembles morphostructuraux ou bioclimatiques. Selon les points du globe, son activité s’exprime par un enlèvement de matière (ablation) ou par le dépôt des éléments fournis par cette attaque à l’issue d’un transport (accumulation). Ablation, transport et accumulation représentent les trois aspects que revêt l’érosion au sens large, ou glyptogenèse. Leur étude constitue l’objet de la géomorphologie dynamique.

L’activité des systèmes morphogéniques met en jeu divers agents, tels les variations de température, l’air, l’eau et la glace, la végétation, les animaux et les hommes eux-mêmes. Tous tirent l’énergie nécessaire à leur intervention de sources fondamentales. Ainsi, la plupart des phénomènes de transport dépendent de la gravitation universelle. On soulignera aussi le rôle primordial du rayonnement solaire, dispensateur de lumière et de chaleur, qui engendre une riche gamme de phénomènes météoriques et biologiques dont la participation à la morphogenèse est capitale. Enfin, on signalera l’action des forces endogènes qui déforment la croûte terrestre et, par conséquent, activent les phénomènes gravitaires.

Les processus élémentaires de l’érosion se différencient selon les modalités d’action de ses agents. Des organismes de transport plus considérables assurent la coordination de leurs actions en vue du façonnement des formes de relief. Les combinaisons réalisées entre les uns et les autres déterminent des types de systèmes morphogéniques générateurs d’associations de formes originales.

C’est à ces complexes dynamiques que la Terre doit les aspects changeants de son relief.

1. Processus élémentaires de l’érosion

Les processus élémentaires de l’érosion expriment les actes initiaux de la morphogenèse. Ils comprennent les actions météoriques et biologiques, d’une part, les processus morphogéniques, d’autre part.

Actions météoriques et biologiques

Les actions météoriques, ou «météorisation» (weathering , Verwitterung ), concernent tous les processus mécaniques, physiques et chimiques attaquant les roches. Elles fournissent des débris constituant le régolite , dont la transformation partielle par les agents biologiques donne un sol .

Actions mécaniques

Les actions mécaniques consistent en un débitage des roches provoqué par des tensions internes d’origines diverses. La thermoclastie résulte de changements de volume dus aux seules variations de température. Dans les roches cristallines, les tensions naissent des dilatations et des contractions qui affectent plus ou moins les minéraux et favorisent les désagrégations granulaires. Elles se développent aussi entre la zone corticale des affleurements sédimentaires, soumise aux variations thermiques, et la masse inerte située hors de leur portée. On leur attribue souvent l’exfoliation en lames épaisses des masses rocheuses à diaclases courbes, dans les déserts chauds à fortes amplitudes thermiques diurnes.

En revanche, l’efficacité de la cryoclastie (ou cryoclase , ou encore gélifraction ) est évidente. Elle s’explique par l’augmentation de volume de un dixième liée à la transformation de l’eau en glace. Des cycles gel-dégel successifs subis par des roches imbibées d’eau créent les tensions nécessaires. Leur gélivité dépend du nombre, du calibre et des liaisons de leurs vides avec l’extérieur. Le gel intense pulvérise en limon la craie très poreuse et très diaclasée. Des calcaires compacts se débitent en éclats anguleux (microgélifraction) ou en blocs (macrogélifraction).

Pour certains auteurs, les variations de volume de l’eau imprégnant les roches suffiraient à causer leur dislocation. L’hydroclastie engendrerait, par exemple, une désagrégation granulaire des grès friables. La présence de sels en solution la favoriserait grâce aux pressions de cristallisation exercées contre les parois des vides. Cette Salzsprengung des géographes allemands caractériserait les déserts chauds riches en poussières salines fournies par les sebkhas ou, dans les régions littorales, par les embruns. On sait aussi que l’humidification et la dessiccation des argiles provoquent, selon les circonstances, leur débitage en pavés polygonaux ou leur desquamation en copeaux.

Il convient, enfin, de signaler le rôle destructeur de la foudre et la formation des «fulgurites» tubulaires, dues à la fusion de la silice consécutive à l’impact des éclairs sur les sables des déserts.

Dissolution

La dissolution par les eaux atmosphériques s’exerce surtout aux dépens des évaporites constituées par des sels très solubles (sel gemme, anhydrite, gypse, nitrates). Mais l’eau riche en dioxyde de carbone dissout les calcaires, et l’eau alcalinisée la silice. À la surface des calcaires, cette action se manifeste par des vermiculures engendrées par les rosées. Dans leur masse même, elle contrôle la genèse du relief karstique en exploitant les réseaux de diaclases et de joints de stratification. Corrélativement se développent des formations résiduelles constituées par les éléments insolubles, telles les argiles de décalcification. La recristallisation des produits dissous, après des migrations plus ou moins lointaines, engendre des formations superficielles, bien caractérisées en milieux arides, qu’on appelle patine, vernis, croûtes et encroûtements calcaires ou gypseux, cuirasse et carapace ferrugineuses.

Actions chimiques

Les actions chimiques consistent en une attaque des minéraux des roches aboutissant à l’apparition de minéraux secondaires, de néoformation.

Il s’agit d’altérations dont l’eau est l’agent essentiel. L’hydrolyse des constituants silicatés et alumino-silicatés des roches magmatiques et métamorphiques en est une. Elle tient à la rupture de certaines liaisons des édifices moléculaires par les ions H+ de l’eau, qui se traduit par un lessivage des cations basiques, un appauvrissement en silice et une concentration d’hydroxydes métalliques et de minéraux argileux. Les spécialistes distinguent les siallitisations , qui donnent des silicates argileux (montmorillonite, illite, kaolinite), et les allitisations , qui se caractérisent par l’apparition de sels métalliques hydratés (gibbsite, boehmite, goethite).

Dans les roches sédimentaires, souvent constituées elles-mêmes par des produits de la météorisation du substrat silicaté de la lithosphère, l’altération se manifeste sur les plus vulnérables d’entre elles. On citera l’hydratation , responsable de la transformation de l’anhydrite en gypse, des schistes en argiles et de l’hématite en limonite. L’oxygène de l’air provoque, en outre, l’oxydation des roches carbonatées et de certains sels métalliques.

Actions biologiques

Les actions biologiques provoquées par les êtres vivants sont à la fois mécaniques et physico-chimiques.

En fait, la végétation contribue à la dislocation des roches par suite de la croissance des racines insinuées dans les diaclases et les joints de stratification. Les animaux exercent une action comparable dans les roches meubles et sur les produits de l’ameublissement des roches cohérentes.

Sur le plan physico-chimique, le rôle des végétaux paraît très efficace. Les bactéries, les lichens, les mousses et les diatomées y contribuent grâce à des sécrétions acides qui attaquent les minéraux. Les micro-organismes interviennent notamment dans certaines «maladies des pierres». L’agression des végétaux supérieurs se situe au niveau des racines productrices d’exsudats acides. Elle tient aussi à la fourniture de matière organique, en particulier lors de la chute des feuilles. Leur décomposition libère des acides humiques actifs qui participent à l’attaque des roches et du régolite. Sous les forêts à litières de feuilles des régions humides et fraîches, cette attaque s’exprime par le lessivage des horizons superficiels et la concentration des oxydes de fer en profondeur, dans le cadre d’une podzolisation . On conçoit aisément l’intensité des phénomènes pédogénétiques sous la forêt pluviale des régions tropicales humides et, à l’inverse, leur insignifiance dans les déserts aux steppes clairsemées.

Processus morphogéniques

Les processus morphogéniques façonnent les versants par ablation, transport et accumulation dans les roches meubles (argiles, sables, marnes) ou les produits de la météorisation et de la pédogenèse. Il en existe plusieurs types.

Déplacements par éléments

Les déplacements par éléments constituent un mode de transport dû à une intervention directe et épisodique de la pesanteur. Ainsi, les chutes de pierres résultent de la fragmentation d’une paroi rocheuse. On parle d’éboulements quand le phénomène affecte une certaine masse de blocs d’une corniche mise en surplomb par affouillement des roches meubles qui la soutiennent. Lors de secousses telluriques, ils prennent souvent un caractère catastrophique. Les dépôts corrélatifs des chutes de pierres constituent des tabliers d’éboulis à la base des versants, ou des cônes pentus lorsque des couloirs les canalisent. Des chaos de blocs correspondent aux éboulements. Dans les deux cas, les éléments sont anguleux et leurs calibres croissent depuis la base du versant.

La reptation (creep ou creeping ) se traduit par des déplacements individuels et imperceptibles des débris recouvrant un versant, à la suite d’impulsions créatrices de rupture d’équilibre. Selon leur origine, on a affaire à des reptations thermiques, hydriques ou biologiques. Celle qui est engendrée par des cycles gel-dégel est efficace, car les fines aiguilles de glace dues au gel, les «pipkrakes», peuvent soulever des grains de sable et des graviers. Leur retombée, lors du dégel, entraîne un déplacement dans le sens de la pente. La croissance des racines et l’activité des animaux fouisseurs causent également des redistributions des éléments meubles sur les versants.

Mouvements de masse

Les mouvements de masse assurent la mobilisation d’un certain volume de matériaux. Tous nécessitent une intervention décisive de l’eau, qui joue à la fois le rôle de liant et celui d’auxiliaire de la pesanteur. L’imbibition provoque, en effet, une augmentation de poids, une plus grande mobilité des éléments et des décollements le long du plan de discontinuité créé entre la partie saturée et le reste de la masse meuble. Les modalités du déplacement sont variables.

Les glissements de blocaille se caractérisent par une descente lente et simultanée de blocs sur un versant rendu boueux. Les plus gros d’entre eux finissent par se rassembler sur le front de la traînée. En même temps, leurs grands axes tendent à s’orienter parallèlement à la ligne de plus grande pente, tandis qu’il se redressent par basculement.

Dans le cas des coulées de boue et de blocaille , le matériel déplacé se compose d’éléments grossiers emballés dans une matrice argilo-limoneuse. Selon les cas, elles s’étalent en nappes chaotiques sur les versants ou s’allongent dans des vallons. Par lavage des particules fines de leur matrice, ces coulées se transforment en amas de blocs anguleux anarchiques et hétérométriques, concentrés en chaos rocheux dans certaines vallées montagnardes.

Avec les solifluxions , on aborde des mouvements de masse qui concernent du matériel riche en éléments colloïdaux. Le glissement général et pelliculaire d’argiles ou de marnes très plastiques engendre des versants à modelé bosselé. Si la couche fluente est plus épaisse, des loupes isolent des cuvettes fangeuses. Sur des versants raides, la solifluxion crée de petits gradins discontinus suivant à peu près les courbes de niveau. Dans les régions humides, la formation de ces terrassettes semble favorisée par le piétinement du bétail. Lorsque le matériel est moins aisément liquéfiable, le passage brusque à l’état fluidal se traduit par des arrachements selon des niches associées à des bourrelets corrélatifs. Enfin, lors de pluies abondantes et prolongées, les glissements prennent parfois une ampleur catastrophique, en affectant de façon inexorable des millions de mètres cubes de terrain. À l’occasion, les secousses sismiques contribuent à leur développement (Andes chiliennes et péruviennes).

Ruissellements élémentaires

Les ruissellements élémentaires consistent dans l’écoulement instantané et temporaire des eaux sur les versants. Ils se différencient selon leurs modalités.

Le ruissellement élémentaire concentré se signale par une canalisation de l’eau dans un chenal unique. Sinon, on a affaire à un ruissellement diffus. Dans ce cas, le liquide peut se répartir en une multitude de filets, sinueux, anastomosés et instables, ou constituer une mince pellicule ruisselant sur le versant. On emploie souvent les termes anglais de rillwash et de sheetwash pour désigner respectivement chacun de ces deux types.

Tous les ruissellements élémentaires exercent une activité d’ablation, de transport et de dépôt. Concentrée, celle-ci se traduit par le creusement d’un ravin prolongé par un cône de déjection. Le recoupement des versants raides par de telles entailles ouvertes dans du matériel meuble détermine un modelé en badlands . Diffuse, elle provoque une ablation pelliculaire et la construction d’un petit glacis d’accumulation à la base du versant.

2. Grands organismes de transport

Au terme de leur migration sur les versants, les éléments des roches meubles et les débris de la météorisation parviennent à de grands organismes de transport chargés d’en assurer l’évacuation.

Typologie

Ces organismes de transport sont les écoulements, les glaciers et le vent.

Écoulements

Les écoulements se produisent, selon des modalités et une fréquence qui varient avec les conditions climatiques, sur la quasi-totalité de la surface des continents. L’aréisme ne concerne guère que certains secteurs des hautes latitudes et quelques sommets de montagnes très élevées, qui ne connaissent pas de dégels saisonniers.

Comme dans le cas des ruissellements élémentaires, on distingue des types linéaires et des types diffus. Parmi les premiers, les fleuves et les rivières des régions humides se caractérisent par une activité pérenne, à la faveur de leur alimentation par des sources abondantes, tandis qu’on appelle oueds les écoulements de crue des régions arides. Les seconds ne se manifestent ainsi que par des crues plus ou moins espacées dans ces mêmes régions, ou lors de la fonte estivale des neiges et des glaces des régions froides. Parfois, l’écoulement s’effectue dans des chenaux sinueux et entrelacés, susceptibles de se déplacer au cours d’une crue ou d’une crue à l’autre (rillwash ). Mais, lorsque les débits franchissent certaines limites, l’eau déborde de ces chenaux et s’écoule en nappes minces (sheetwash ). Très exceptionnellement, les pluies torrentielles des déserts, concentrées sur les reliefs, créent des écoulements en nappes d’eaux turbulentes et boueuses qui submergent les piémonts (sheetflood ).

Glaciers

Les glaciers recouvrent 10 p. 100 environ des terres émergées et se répartissent sur tous les continents, sauf l’Australie. Selon leurs rapports avec le relief, on distingue deux types d’appareils glaciaires: les inlandsis et les glaciers alpins . Les premiers submergent les continents, à l’exception de rares nunataks . Ils se cantonnent dans les hautes latitudes de chaque hémisphère, au Groenland (1,7 million de kilomètres carrés) et en Antarctique (14 millions de kilomètres carrés). Les seconds s’inscrivent dans les vallées de montagnes plus ou moins élevées selon la latitude. Issues de cirques glaciaires situés au-dessus de la limite des neiges persistantes, leurs langues de glace atteignent parfois plusieurs dizaines de kilomètres de longueur.

Vent

Le vent joue également un rôle de transport important à la surface du globe (sables et poussières). Toutefois, son action ne prend de l’ampleur que dans les déserts à végétation clairsemée, sinon absente, par suite de l’aridité ou du froid excessif.

Activités morphogéniques

Si la fonction première de ces organismes consiste dans le transport des matériaux provenant des versants, son accomplissement implique des activités corrélatives d’ablation et d’accumulation.

Transport

La fonction de transport concerne des charges véhiculées vers les aires de sédimentation. Elle se développe en rapport avec la capacité et la compétence des organismes en jeu; la capacité correspond au débit solide maximal et se définit par la masse totale des matériaux (charge solide limite) d’une taille donnée, susceptible d’être mobilisée par unité de surface mouillée et pendant l’unité de temps; la compétence se définit par la masse du plus gros élément mobilisable. Dans le cas du transport de moraines par les glaciers, ces deux aptitudes sont pratiquement illimitées. Celles des écoulements varient dans de larges limites avec leurs caractéristiques hydrodynamiques: débit liquide, ou quantité d’eau qui s’écoule en une section donnée pendant l’unité de temps; vitesse du courant (fig. 1), donnée par la formule de Chézy-Eytelwein v = C RI (C étant le coefficient de rugosité, dépendant de la nature des roches du lit, R le rayon hydraulique, quotient de la surface de la section mouillée par son périmètre, I la pente); turbulence (quand, à grande vitesse, les filets d’eau s’entrecroisent). En outre, leur compétence dépend de la densité du liquide, déterminée par la quantité des éléments transportés en solution et en suspension. Ce sont, en partie, des teneurs très élevées en «troubles» (de 40 à 50 p. 100) qui expliquent le charriage de blocs énormes sur plusieurs kilomètres par les crues boueuses des régions arides. Enfin, les déplacements sont plus ou moins discontinus en fonction du calibre des éléments intéressés et du mode de transport correspondant. Ceux qui sont mobilisés en solution et en suspension parviennent directement aux aires de sédimentation. En revanche, les matériaux plus grossiers, déplacés par saltation, reptation et charriage sur le fond, ne les atteignent qu’après des migrations très discontinues, rythmées par les crues, qui peuvent s’étaler sur plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’années.

Quant au vent, ses aptitudes au transport se limitent aux particules comprises entre 0,03 et 5 millimètres. Du fait de la faible densité de l’air, seuls les limons et les poussières sont déplacés en suspension. La saltation intéresse les sables compris entre 0,2 et 1 millimètre, et la reptation, des éléments dont le calibre peut approcher 10 millimètres. On notera aussi que seuls les déplacements éoliens sont indépendants de la pesanteur et, partant, indifférents aux pentes.

Ablation

L’ablation est une action mécanique qui alimente la charge des organismes de transport. Il peut s’agir de simples prélèvements d’éléments meubles, effectués aussi bien dans les lits des écoulements fluviatiles et glaciaires qu’aux dépens des surfaces balayées par le vent. Cette activité s’exprime soit par le creusement des lits des glaciers, des fleuves, des rivières et des oueds, soit par une ablation latérale façonnant des glacis dans le cas des écoulements diffus. Celle du vent est une déflation , très active en milieux désertiques où elle provoque un vannage des éléments fins des formations superficielles, engendrant de vastes surfaces caillouteuses appelées regs .

Avec une moindre efficacité, l’ablation s’exerce aussi sur les roches cohérentes, à la faveur de l’usure due à l’eau, à la glace ou au vent armés de matériaux durs. Le polissage ou la striation de ces roches signalent ces actions d’abrasion des glaciers ou des eaux de crue, comme l’importance de la corrasion éolienne dans les déserts.

Dépôt

Le dépôt partiel de la charge intervient lorsqu’il y a une diminution de la rapidité et de la compétence de l’organisme de transport. Les éléments largués sont dits en transit si la stabilisation ne représente qu’une étape dans leur migration vers les aires de sédimentation. Quand celle-ci est définitive, l’addition des apports successifs s’exprime par l’élaboration de formes d’accumulation. La géométrie de ces édifices et les caractéristiques de leur matériel varient avec l’organisme de transport responsable. Ainsi se différencient, par exemple, les constructions morainiques, les terrasses alluviales, les dunes...

D’une façon générale, toutes ces actions d’ablation et de dépôt concourent au façonnement d’organes capables d’assurer l’évacuation des matériaux fournis par les versants avec le maximum d’efficacité, c’est-à-dire avec la moindre dépense d’énergie.

3. Structure et typologie des systèmes morphogéniques

Les processus élémentaires de l’érosion et les grands organismes de transport combinent leurs activités dans le cadre de systèmes morphogéniques.

Structure

La structure des systèmes morphogéniques dépend, d’une part, de la nature des processus élémentaires et des organismes d’érosion qui les constituent, d’autre part, de l’importance relative du rôle que chacun d’eux joue au sein de la combinaison. On doit distinguer, en particulier, les éléments dominants des éléments accessoires, en fonction de l’intensité et de la continuité de leurs activités respectives. Ce sont les premiers qui, grâce à leur agressivité et à leur fréquence, orientent la morphogenèse et, partant, déterminent les traits fondamentaux du modelé du relief. Ainsi, la cryoclastie et la gélifluxion – le transport par les eaux de fonte –, dominantes en milieux périglaciaires, ne jouent plus qu’un rôle accessoire dans les régions tempérées en raison de leur caractère localisé et épisodique.

Rôle du climat

Le climat se place effectivement en tête des facteurs responsables de la structure des systèmes morphogéniques. Au niveau des processus élémentaires, son intervention sur les roches est directe dans les déserts, en l’absence de sol et de végétation épais et continus. Ailleurs, elle s’exerce, cependant, à travers l’écran plus ou moins important que l’un et l’autre constituent entre la lithosphère et l’atmosphère. Le climat détermine la prédominance des actions mécaniques ou biochimiques, mais il définit également les types d’organismes de transport, en assurant la primauté de l’un de ses agents, l’eau, la glace ou le vent, comme les modalités de son intervention.

Incidence du relief

Dans certaines circonstances, l’intervention du relief est aussi évidente, en fonction des modifications qu’il impose au climat. On sait, en effet, que les précipitations s’accroissent jusqu’à un certain optimum et que la température diminue d’environ 0,55 0C par 100 mètres. Les deux phénomènes s’expriment par un étagement caractéristique des milieux bioclimatiques et, en conséquence, des systèmes morphogéniques dans toutes les montagnes [cf. MONTAGNE]. Dans les plus élevées d’entre elles, en particulier, les fortes dénivellations entre les sommets et les vallées ou les piémonts multiplient les grands versants. La raideur des pentes y favorise le ruissellement torrentiel, les mouvements de masse et les actions mécaniques de la météorisation sur les roches dénudées. La diversité des microclimats liée à celle des expositions est une autre cause de modification des combinaisons morphogéniques. L’opposition thermique et pluviométrique entre les versants est classique. Dans les montagnes tempérées, elle se traduit par des différences d’aménagement entre les adrets et les ubacs [cf. MICROCLIMATS].

Influence de la lithologie

Il convient de souligner également l’influence de la nature des roches sur l’érosion. Selon leurs caractéristiques texturales et chimico-minéralogiques (potentiel ionique, notamment), les roches se révèlent plus ou moins vulnérables à ses diverses manifestations. Les données pétrographiques interviennent donc dans la hiérarchisation des processus liés aux milieux bioclimatiques. Sous un climat humide, par exemple, les calcaires subissent les effets de la dissolution, alors que les argiles et les marnes sont surtout sensibles aux actions mécaniques. On sait aussi que les calcaires désorganisent l’écoulement superficiel au profit du drainage souterrain, en fonction des progrès de la karstification (cf. relief KARSTIQUE).

Principaux types

L’étroitesse des liens qui unissent les processus élémentaires de l’érosion et les organismes de transport au climat fonde la différenciation des systèmes morphogéniques sur les grands domaines bioclimatiques qui se partagent les continents (fig. 2).

Types glaciaire et périglaciaire

Dans les milieux froids des hautes latitudes et des hautes montagnes, les systèmes morphogéniques se caractérisent par la prépondérance des actions mécaniques sur les autres. Mais on doit y distinguer un type glaciaire , dominé par le rôle joué par l’écoulement de la glace, et un type périglaciaire , plus agressif en raison de cycles gel-dégel générateurs de phénomènes de cryoclastie et de cryoturbation, de gélifluxion sur les versants et d’écoulement de fonte saisonniers très actifs.

Types arides

C’est la sécheresse qui explique l’existence de systèmes morphogéniques à dominante mécanique dans les milieux arides. Mais le manque d’eau y paralyse les actions météoriques, surtout dans les déserts chauds, car les déserts continentaux des latitudes moyennes connaissent des cycles gel-dégel actifs. Il en résulte une réelle inertie du relief, sauf dans le cas des roches meubles vouées à une ablation discontinue par les écoulements de crue linéaires ou diffus. Enfin, le vent finit par s’imposer dans les secteurs hyperarides.

Types tropicaux

Toutes les autres régions du globe offrent des systèmes morphogéniques dominés par les actions chimiques et biochimiques, qui s’exercent par l’intermédiaire de couvertures de sols et de végétation plus ou moins épaisses. Elles atteignent leur efficacité maximale en milieu tropical humide, où la chaleur et l’humidité persistantes entretiennent un puissant manteau de forêt et d’altérites. Mais l’écran forestier entrave les entreprises des processus morphogéniques sur les versants (biostasie ). Et les grands fleuves tropicaux eux-mêmes, à charges très pauvres en éléments grossiers, ne façonnent guère leurs lits rocheux. Il faut l’apparition d’une saison sèche pour que se réalise, en milieu savanien, un équilibre entre les actions biochimiques et les actions mécaniques, souligné par une plus grande agressivité des eaux courantes.

Types tempérés

En milieux tempérés, les systèmes morphogéniques se caractérisent également par la diversité des combinaisons réalisées entre les différentes familles d’actions érosives, selon les nuances du climat. L’existence d’une saison froide, ou sèche, atténue les actions chimiques et biochimiques au profit des processus mécaniques. Ainsi, la cryoclastie et les mouvements de masse sur les versants jouent un rôle non négligeable dans les types continentaux et montagnards, alors que le ravinement et l’ablation pelliculaire se manifestent lors des averses méditerranéennes sur des pentes mal protégées par une végétation claire. Partout, les fleuves et les rivières, bien que pourvus en charges grossières, creusent leurs lits et favorisent ainsi l’activité des processus morphogéniques sur les versants de leurs vallées.

Cette typologie des systèmes morphogéniques ne manquera pas de s’enrichir avec les progrès d’une recherche fondée sur l’analyse du jeu complexe des facteurs géographiques. Telle quelle, elle montre déjà la diversité des aspects de l’érosion à la surface des continents. Ceux-ci ont varié également en fonction des multiples vicissitudes de l’histoire du globe. Les temps quaternaires, en particulier, se caractérisent par des fluctuations climatiques dont on retrouve maintes traces dans le relief actuel. C’est à partir des documents fournis par ce riche héritage que le géographe reconstitue des systèmes morphogéniques passés, qui aident à la compréhension de l’activité de ceux de notre époque.

4. L’homme, agent d’érosion

Depuis l’apparition de l’agriculture, l’homme est devenu un agent d’érosion redoutable. Signalée sous toutes les latitudes, la destruction des sols cultivés revêt différents aspects. On citera les ravins et les ravineaux ouverts par le ruissellement concentré; dans les cas extrêmes, le recoupement de leurs versants transforme le paysage en une succession de crêtes aiguës caractérisant les badlands de l’Ouest américain. Cette érosion accélérée s’exprime aussi par des mouvements de masse, que manifestent des fentes d’arrachement, des niches de décollement ou des plans de glissement, auxquels correspondent des terrassettes, des bourrelets de solifluxion et des coulées boueuses. Les champs ou les plantations plus ou moins ravagés par ces phénomènes se situent surtout dans les régions de climats agressifs (pays méditerranéens) et les montagnes humides très déboisées (Atlas tellien). Dans les milieux tropicaux, les épais manteaux d’altérites, défrichés, subissent des dégradations comparables (Afrique de l’Ouest, Amazonie). Elles prennent des proportions catastrophiques dans les hautes montagnes de l’Asie des moussons (Indonésie, Him laya), à la suite de défrichements abusifs.

À ces manifestations parfois spectaculaires s’ajoutent des actions plus insidieuses, mais non moins dangereuses. Ainsi, l’érosion pelliculaire due au ruissellement diffus finit par tronquer les sols cultivés. Dans les montagnes méditerranéennes surpâturées, elle provoque le déchaussement de la végétation. La déflation s’associe efficacement à l’action des eaux courantes dans les plaines balayées par des vents violents et fréquents. À cet égard, l’ampleur atteinte par les tempêtes de poussière dans la Prairie américaine (Dust Bowl) et la Pampa argentine est significative. En milieu aride, l’ensablement consécutif à la déflation éolienne crée une menace permanente contre les espaces cultivés.

Malgré la modération de leur climat, les milieux tempérés connaissent aussi de telles agressions. L’érosion des terres de culture s’y est grandement intensifiée au cours des dernières décennies, au point de devenir préoccupante. Dans les plaines et les plateaux du Bassin parisien, par exemple, l’érosion des limons se traduit par l’apparition de ravines, et des atterrissements en bas des pentes et sur les chemins. Une telle évolution résulte de modifications rapides des systèmes et des modes de culture. D’une façon générale, la place prise par les cultures d’été et les plantes sarclées étend les surfaces vulnérabilisées par les ameublissements et les désherbages qu’elles exigent. Il faut aussi incriminer l’essor d’un machinisme agricole lourd, qu’impliquent des façons culturales multipliées, l’épandage des engrais et les traitements phytosanitaires. Le passage des engins provoque, en effet, la formation d’une semelle de labour correspondant à une compaction du sol en profondeur qui intensifie le ruissellement.

Mais l’agriculture n’est pas seule à être mise en cause. Toutes les grandes agglomérations des régions tropicales connaissent les ravages de l’érosion torrentielle. D’abord, leur croissance incontrôlée y a développé des quartiers d’habitat dans des zones à haut risque, collines à forte pente ou bas-fonds mal drainés et inondables. Cette urbanisation spontanée accroît, par ailleurs, le ruissellement pluvial, par le bitumage des grandes artères, le piétinement du sol des rues en terre, et, surtout, la multiplication des toits en tôle ondulée. À Kinshasa (Zaïre) comme à Brazzaville (Congo), lors de gros orages, on a vu des ravins de plusieurs mètres de profondeur et de plusieurs centaines de mètres de longueur se creuser en quelques heures, accompagnés par de nombreuses destructions d’habitations.

On signalera, enfin, les méfaits de grands travaux effectués sans considération de leur impact sur le milieu naturel. Ainsi, l’érosion dévastatrice qui affecte depuis les années soixante-dix quelque 300 kilomètres de côte entre le delta de la Volta et le Nigeria illustre un cas grave de déstabilisation lié à des aménagements lourds. Car la mise en service du barrage d’Akosombo (1965), en vue de produire de l’énergie électrique, a entraîné le piégeage des sables jusque-là déversés dans la mer. Désormais sous-alimentée à l’est du fleuve, la dérive littorale ronge le cordon côtier sableux, causant la destruction de la ville ghanéenne de Keta. Au Togo, la construction d’un brise-lames en vue de créer des terrains pour agrandir le port de Lomé (1964) provoque, pour des raisons analogues, un rapide recul de la côte, coupant la route Lomé-Cotonou et menaçant le wharf d’embarquement des phosphates et la ville d’Aného. Des problèmes analogues se posent au Bénin depuis la mise en service du barrage de Nangbéto (1987) sur le Mono.

Il convient, aujourd’hui, d’insister sur les dangers d’une technocratie trop souvent inconsciente des répercussions désastreuses, sur les milieux naturels, des grands travaux qu’elle prône. Ainsi se justifie la nécessité d’études d’impact préalables, menées par des spécialistes de la dynamique de ces milieux.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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  • ÉROSION (CYCLE D’) — La notion de cycle d’érosion correspond à une conception de l’évolution du relief selon un enchaînement rigoureux et irréversible de formes interdépendantes. Dans cette perspective, toute combinaison de formes réalisée à un moment donné découle… …   Encyclopédie Universelle

  • PÉRIGLACIAIRE (DOMAINE) — Le domaine périglaciaire fait partie des régions froides caractérisées par un bilan radiatif fortement négatif. L’atmosphère y cède plus de chaleur qu’elle n’en reçoit des diverses formes de rayonnement. Sous les hautes latitudes, cette situation …   Encyclopédie Universelle

  • BOUCLIER (géomorphologie) — Vaste unité géomorphologique présentant une topographie de plaines et de plateaux, un bouclier se caractérise par la prépondérance de vestiges de surfaces d’aplanissement qu’accidentent, localement, des formes structurales développées dans les… …   Encyclopédie Universelle

  • TROPICAL (DOMAINE) — Le domaine tropical se caractérise à la fois par une chaleur constante et une forte humidité. Les pluies y sont abondantes et leur rythme, quotidien ou saisonnier, d’une grande régularité. Les températures moyennes mensuelles les plus basses n’y… …   Encyclopédie Universelle

  • TEMPÉRÉ (DOMAINE) — Comme l’indique sans ambiguïté le sens courant de l’adjectif, un climat tempéré est celui où l’on observe un rythme thermique annuel qui reste modéré: les températures moyennes de l’été ne dépassent guère 25 0C et, surtout, celles de l’hiver… …   Encyclopédie Universelle

  • CHAÎNES (géomorphologie) — Les géomorphologues appellent chaîne une unité montagneuse complexe, caractérisée par un relief élevé, à fortes dénivellations, et, surtout, par la disposition ordonnée de ses éléments et de leurs combinaisons, selon une direction privilégiée qui …   Encyclopédie Universelle

  • ACCUMULATIONS (géomorphologie) — L’accumulation est une activité morphogénique qui consiste dans le dépôt définitif de matériaux par un agent de transport. À l’exception des cônes et des talus d’éboulis, dus à l’action directe de la gravité, elle résulte essentiellement de… …   Encyclopédie Universelle

  • GLACIAIRE (DOMAINE) — Les régions de hautes altitudes et de hautes latitudes présentent, malgré de grandes différences, des traits communs multiples, bien marqués dans le paysage. Des masses de glaces permanentes y occupent une part importante de l’espace; la neige… …   Encyclopédie Universelle

  • ÉROSION ET SÉDIMENTATION — L’histoire des continents résulte d’une évolution où interfèrent des forces internes nées de déséquilibres crustaux et des forces externes qui détruisent les constructions orogéniques édifiées par les premières. Tous les reliefs ne sont que des… …   Encyclopédie Universelle

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